Une exposition pensée dans la rencontre entre deux artistes, entre deux modes de variations autour du corps. Deux regards, presque une dialectique, en tout cas un face à face fécond.
Pour cette première exposition Céphalopode invite deux artistes, deux peintres, deux résistantes.
Il y a un univers étrange et familier.
Une étrangeté balance le réel.
D’abord de la peinture, de la pâte, des traits, des dégoulinures, qui s’emmêlent, se nouent, se poussent, se frottent, se recouvrent, et forment une image.
Une opération surprenante.
Des personnages vous regardent de leur lieu, de leur plan.
Ils viennent vous chercher, malgré tout.
Ils croisent votre regard, ils existent…
Ils sont là et signalent un autre espace – leur espace – il invitent à en percevoir un fragment.
Ou plutôt le peintre expose ces fragments, parfois contre les figures.
Une matérialisation sensationnelle des personnages, car c’est de cela qu’il s’agit.
De ce qu’ils sentent, de ce qu’ils sentent de leurs matérialités.
Car c’est encore de cela qu’il s’agit, de la sensation et de la matière. !
D’un sujet et d’un « autre ».
Et quelque chose de fantastique apparaît, doucement ou violemment.
Un déport.
Myriam Moreton,
Éclatements, Jaillissements colorés…
Un visage…
Saisissement d’un corps.
On déduit des scènes, dans des piscines, dans des baignoires, dans de l’eau…
Un pont du fantastique au banal.
On voit des corps s’immerger, dans des bains dynamiques.
L’unité visuelle du corps semble se dissoudre dans un élément étranger.
L’image se trouble…
L’unité image du corps se fragmente en des touches. On peut penser à un
retour dans le liquide amniotique, dans les eaux originelles, ou dans l’Un-
Primordial.
Plongeon…
Une percée…
Suinte un devenir-tache, fragment, pâte, devenir-un (des) bout de peinture,
un bout de sensation colorée.
Ça semble être des marinades, des détentes (Du latin tendere « tendre,
étendre, déployer »)
Un déploiement certain du corps, une étendue, un relâchement,
Émergence d »un danger…
Des regards inquiets… qui semblent parfois avoir une conscience terrible.
Une petite fille perdue dans des eaux ténébreuses, une noyade guette. Une
immersion complète semble signifier la mort – peut être parfois le désir de
mort, ou encore de dé-individuation.
Comme une volonté de se fondre, de se confondre, une confusion, un état
diffus, infus (du latin infundere « verser dans, répandre dans (ou sur); faire
pénétrer »)
L’étendue…
Le corps sentant s’étend en même temps qu’il se dissout.
L’eau.
L’eau même au repos semble mouvementé. Autant que les corps.
Les Limbes
Agnès Mariller,
Auto-portraits…
S’étendre, se multiplier… Peupler.
Peupler des espaces vides. Lorgner hors du cadre. Se cacher. Devenir autre. Devenir le même, différent,
Reproduction, dans un autre… La solitude. Des mêmes. Des mèmes.
Dialogue entre ses propre parties, entre un soi, et un autre soi.
Un corps fragmenté, schizophrène. Qui ne veut pas voir, qui ne veut pas se voir, qui ne veut pas être vu.
Dialogue de corps, de masse, de gravité, de touché.
Il y a les corps, mais pas les regards, les corps mais pas les yeux. On ne se regarde pas, on se sent. L’autre est
sentis, touché même, mais pas vu. Elles se prennent, elle se touchent, elles se serrent. « On est là », c’est une présence, c’est au delà de la vison, c’est fugace, et ça semble fuir. Comme une tentative de vérification de la matérialité pour contrer une illusion optique. Un soutient entre les parties. Parfois des figures, des « tricks », des accords, un jeu, une petite dépense, une prise au jeu.
Presque une absurdité. La peinture devient – est – un cosmos, un conglomérat de fragments de l’artiste, où l’artiste se regarde, peut enfin se voir, voir une économie qui jusque la n’était que pré-sentie, ou touché. Comme un exorcisme du senti au voir, et de nouveau du voir au senti.
Se cacher. Ici on ne peut pas devenir vraiment autre, on ne peut se fondre dans l’espace, on ne peut s’échapper, vivre autre chose que son corps, le masque cache mais ne transforme pas. Il n’arrive jamais à faire oublier le visage, le vrai visage. On est bien loin des transes et des possessions, ici pas d’échappatoires. Pas de monde autre, à part celui là, celui de la chair. Il y a une mise en doute du soi, une interrogation sur sa réalité. Une sorte de solipsisme : il n’existe rien d’autre que moi… De la solitude jusqu’à de la putréfaction, la couleur de la chair qui se sclérose comme un esprit qui ne se nourrit plus que des mêmes choses. Qu’est ce que je fais de ce corps, de cette limite. Même si il est autre si il est toujours autre, je reste dans le corps, dans cette chair. Chair quasi-putréfiante. De la viande, mais qui sent encore un peu, qui refuse la viande, qui veut résister, qui n’accepte pas ce statut, ou qui lorgne vers un ailleurs. Les corps sont perdus, mais ici.
Dans des espaces indéterminés, qui semblent parfois se refermer sur eux. Les figures trouvent parfois des appuis dans le vide, ou elles flottent.
C’est vide et c’est plein.
Angoissant.
Parfois un souvenir d’enfant, un reste d’affect. Ou ces objets qui attribuent un rôle, mais qui semblent vide. La peinture semble fonctionner comme un corps, incapable de se regarder. Mais en même temps consciente de son existence. Et qu’un événement, parfois, vient perturber. Le dehors, le point de contact. Il y a une résistance à l’ouverture, à la possibilité d’un autre, en même temps qu’un intérêt. Un doute de l’ouverture, une mise en doute d’un véritable autre.
Les Limbes