Vernissage le vendredi 08 février à partir de 18h30
Tenter de saisir son milieu, l’homme ne l’a jamais entendu que sous la seule perspective du dressage. Se faire un territoire, en en imposant les limites (souvent infranchissables), en terrassant le terrain par la refonte des reliefs et des agencements naturels, et en domptant l’animal par la domestication ou l’élevage. Nous saisissons notre milieu en en dressant la vie et la terre, un territoire rééduqué, civilisé en somme. En haut de l’échelle, du haut de la chaîne, l’homme est le maître de son monde.
Le travail de Sarah Clerval prend le contre-pied de ce rapport à notre milieu par des œuvres à la fois poétiques et savantes qui nous laissent toujours le temps d’une approche, d’une rencontre. Chaque sculpture, vidéo ou installation est une tentative renouvelée de faire se rencontrer des mondes, de les faire communier, de leur donner pendant un instant un commun possible. Cette rencontre est, dans un premier temps, celle de l’homme et de l’animal, et l’artiste, dans son rôle de médiatrice, déniche les traces de la faune qui se cache dans l’ombre des activités humaines. Mais pour créer cet état de rencontre, il faudra changer d’odeur pour tenter L’approche, et changer d’approche pour ne plus être Les intrus. Retrouver l’animal, lui faire la peau, et la refaire. Faire peau neuve pour changer de point de vue, et aller se réchauffer à d’autres soleils.
Cet état de rencontre passe aussi par l’approche d’un territoire inconnu. Cette contrée c’est l’Islande, avec ses paysages lunaires et la pesanteur de ses déserts. L’échappée de Sarah Clerval nous fait glisser du paysage que l’on rêve au travers de cartes postales, au territoire vécu par sa lente traversée. Cette expérience commence peut-être simplement par la saisie d’une pierre, roche par laquelle le territoire se dessine le temps d’un Affleurement. Marquer son territoire reprend ici sa consistance originelle, loin des lignes de démarcation et autres frontières. Empoigner le paysage pour l’apprivoiser et en faire son milieu, c’est réaffirmer le territoire comme une surface d’accueil possible pour nos traces, nos empreintes et nos mémoires.
De la mémoire, il en sera encore question, à travers le récit d’un aller-retour entre Clermont-Ferrand et le Japon, un récit tissé au fil de l’eau et de ses mythes volcaniques. Du souvenir clermontois perdu du culte des eaux volcaniques, il ne reste que des ex-voto en bois d’un autre âge dont l’énigme semble se résoudre à l’autre bout du monde sur l’île de Kyushu. Les reliques de Clermont-Ferrand semblent retrouver leur source au pied du Mont Aso, et s’incarnent dans les échos des prières adressées aux esprits dans un décor exotique qui leur est étranger par l’espace autant que par le temps. Pour habiter ces mémoires et territoires croisés, qui ne cessent de se traverser l’un l’autre, il faudra donc retourner à la source où habitent La grue et la tortue.
Si le travail de Sarah Clerval brille par sa discrétion, il n’est pas pour autant distancié. La présence humaine n’est jamais évacuée de l’équation, au contraire, le corps est partout, dans ses empreintes, ses dépôts, ses énergies et ses vibrations. De la domestication du monde, il ne reste ici pas grand-chose hormis des stigmates. L’homme y a retrouvé sa place discrète, ou pour ainsi dire, sa juste échelle. Les haïkus visuels de Sarah Clerval donnent corps au rêve d’un monde (enfin) apprivoisé, car, comme l’avait énoncé le renard de Saint-Exupéry, apprivoiser « c’est créer des liens ».
Domitille Pascal
Avec le soutien de la DRAC Auvergne Rhône Alpes, de la Ville de Saint-Étienne et de la région Auvergne Rhône Alpes.
Les Limbes est membre du réseau Adele (adele-lyon.fr), ACRA, et Artist-run-space.org.